Je n’avais jamais voyagé. Mes parents n’avaient pas de voiture, peu de gens avaient une voiture à cette époque. Rares étaient les enfants de mon village qui partaient en vacances. Ceux qui avaient cette chance me semblaient plus calés en histoire et géographie, et se repéraient mieux sur la grande carte de France clouée au mur de notre classe. J’avoue que je les enviais et mon envie de « partir » date de cette période. Mes amis étaient étrangers, déjà. Ils étaient insatiables sur leur pays, leurs coutumes, et je les aimais. Inlassablement, assise seule devant la maison, je regardais la route. Pas en amont, là où le regard bute sur les sapins et la montagne toute proche. Vers le bas, où le tournant masque la vue. C’est dans cette direction que je partirais un jour, il le fallait.
…Je l’ai fait, j’ai épousé un étranger.
Et je n’ai jamais voyagé.
Je suis toujours allée d’un point à un autre, d’un lieu de vie à un lieu de vacances, toujours le même, sans jamais m’arrêter, visiter. Tant de distances parcourues, de frontières traversées, sans jamais s’attarder, explorer. Je posais les valises, et le quotidien reprenait ses droits, que ce soit ici ou là-bas.
J’ai toujours aimé faire de la bicyclette. Parmi mes nombreuses envies d’évasions, revenait celle de faire un tour de France à vélo. Pour moi, c’était la plus belle façon de découvrir la France profonde. Autrefois, les nationales n’étaient pas encombrées de voitures, il était aisé de cheminer, sacoches bien bombées accrochées au porte-bagages , et d’avaler les kilomètres, avec pour récompense, des beaux paysages, des arrêts gastronomiques, et la possibilité de planter sa toile de tente dans un champ, où le propriétaire, ravi de voir du monde, venait vous offrir de quoi vous restaurer avec les produits de sa ferme.
Pourquoi ne l’ai-je pas fait ? Prise trop vite par une vie que je n’ai pas vraiment choisie, mais qui m’a offert une belle famille. Puis, si c’était du domaine du fantasme, doit-on réaliser tous ses fantasmes ?
J’ai entendu parler maintes fois de Saint-Jacques de Compostelle.
Le lieu. La ville.
Ce n’est pas loin d’Edral, près de Vinhais, au Portugal, ma deuxième patrie. A deux heures de route peut-être ? Nous y avons même de la famille, qui vient souvent nous voir à Edral. C’est un joli endroit me dit-on, il y a une belle cathédrale. Beaucoup de gens la visitent. Je n’y suis jamais allée. Jamais. J’avais envie d’y aller. Ce doit être beau à voir.
Je connaissais l’apôtre Saint-Jacques. Mon éducation religieuse fut sans faille, elle.
A Edral, nous vénérons Santiago Minor. En français, Saint-Jacques le Mineur. Pourquoi « Minor ». Y avait-t-il un « Major » ?Aquarelle Madeleine Fernandes, août 2010, chapelle du Santiago, à Edral de Lomba, près de Vinhais, Portugal
N’y avait-il pas qu’un seul apôtre appelé Saint-Jacques ?
Quand enfin internet m’a ouvert les portes de l’inconnu, j’ai fait des recherches.
Santiago Minor, est frère ( en fait cousin ) du Seigneur, de sa parenté, et originaire de Nazareth. Il aurait dirigé l’Église de Jérusalem et serait mort martyr vers 62.
Santiago Major :Notre Saint-Jacques, celui dont on m’avait parlé au Catéchisme, était en fait Jacques le Majeur, fils de Zébédée et frère de Saint Jean l’Evangéliste, un des apôtres du Christ :
il fut appelé par Jésus au bord du lac de Galilée avec son frère. Il fut témoin, avec Pierre et Jean, de la Transfiguration du Seigneur et aussi de son agonie. Décapité par ordre du roi Hérode Agrippa, aux environs de la Pâque en 42, il fut le premier des Apôtres à recevoir la couronne du martyre.
A la fin du 7ème siècle, une tradition fit de Jacques l’évangélisateur de l’Espagne, avant sa mort ou par ses reliques.
Son corps aurait été découvert dans un champ grâce à une étoile : le campus stellae, devenu Compostelle. Après Jérusalem et Rome, ce fut le lieu d’un des plus célèbres pèlerinages de la chrétienté au Moyen Age et de nos jours encore.
J’AI FAIT LE LIEN ENTRE LE SAINT, SAINT JACQUES DE COMPOSTELLE ET LE LIEU DE PELERINAGE
Edral voyait fréquemment passer des personnes seules, souvent très maigres, avec sac à dos et bâton, dont on m’avait dit : « ce sont des marcheurs « On leur donnait le gîte et le couvert. Je croyais que c’était pas pitié. Qu’ils étaient des sortes de nomades à pieds, des ermites un peu en marge de la société.
Je les enviais, j’enviais leur liberté, leur détermination à marcher coûte que coûte. Je ne savais pas où ils allaient, ni d’où ils venaient, mais je sentais en eux une force mue par quelque chose qui m’était inconnue et qui leur donnait du courage. Le courage aussi d’affronter le regard des autres qui ne comprenaient pas toujours que l’on puisse utiliser son énergie à autre chose que travailler pour gagner sa croûte . Je ne me posais pas de questions, à cette époque de ma vie. Je pensais moi aussi que vivre c’était travailler, se reposer un peu et travailler encore, et que tout ce que les autres entreprenaient ne m’était pas accessible, que je n’y avais pas droit, que c’était normal. Je ne me demandais même pas où ces gens allaient, je pensais qu’ils marchaient, voilà tout.
Maintenant, je sais leur quête, je comprends ce qu’ils recherchaient, quel que soit le motif qui les poussaient sur la route.
Je sais que « marcheurs », signifiait « pèlerins », je regrette de ne pas avoir parlé avec eux, de ne pas m’être intéressée à eux. Je les aurais hébergés. Non, je n’aurais pas pu. Mais j’aurais pu leur parler. Peut-être.
Je ne suis jamais allée à Saint-Jacques de Compostelle.
Je ne suis plus jeune. je suis plus près de la tombe que du berceau.
J’ai fait des choix de vie égoïstes, j’ai rencontré Marc. Nous avons tous deux l’amour de la nature et des choses simples. Nous aimons observer, photographier, peindre. Marcher.
Je vais voir Compostelle, je vais marcher, entreprendre ce pèlerinage
Je vais mériter de voir ce lieu que l’on n’a jamais jugé intéressant de me faire découvrir.
Ce sera dur, mais j’ai besoin d’aller au bout de ça.
Personne ne m’en empêchera
« Rien », je ne sais pas. Mon âge, la santé, la solitude, l’incompréhension ?
Mais pas « quelqu’un ».
J’en ai souvent parlé chez moi. Je n’ai pas été comprise.
J’en ai parlé à des étrangers, des amis, et j’ai été étonnée d’être entendue, soutenue, encouragée.
J’en ai parlé à Marc, il m’a dit : nous le ferons ensemble
Dès cette année.
Nous serons trois.
Notre Chemin débutera en septembre, du Puy en Velay. Nous avons la « Crédencial », officielle.
Il y aura Marc, Pierre, des noms d’apôtres ?
Et Madeleine, la pécheresse ?
Rien de mystique dans notre marche. Mais j’en reparlerai.
Je connaissais Paolo Coelho. Qui au Portugal, ne connait pas Paolo Coelho. Au moins de nom ?
Un ami m’a offert « Le pèlerin de Compostelle » de Paolo Coelho.
« l’extraordinaire se trouve sur le chemin des gens ordinaires ».
Cette phrase m’a bien plu.
J’ai lu le livre, une première fois. Avidement. La quête mystique de l’auteur est à toutes les pages, c’est un beau roman qui vous entraîne loin, très loin, mais pas sur le chemin. La marche de Coelho et de son guide commence à Saint-Jean-Pied-de-Port, que je ne connais pas à ce moment là, pour se terminer à Saint-Jean de Compostelle, mais c’est d’un parcours hautement initiatique dont il s’agit.
J’ai gardé le roman à la tête de mon lit, me jurant de le relire, quand je serai moi-même prête à « marcher ».
En avril 2012, nous sommes allés passer quelques jours au Pays Basque, à Bayonne dans un mobil’home près de la plage, en prévoyant petits sacs à dos et k-ways pour faire de belles promenades dans la région.
Qui dit Pays Basque, pour des passionnés de Compostelle, dit Saint-Jean-Pied-de-Port.
« Une petite pluie bien mouillante nous attend en sortant de la voiture, que nous n’avons pas eu de mal à garer à cette période de l’année, à l’entrée de la ville.
Il est près de 11h. Nous allons prendre un café dans une brasserie . Nous sommes séduits immédiatement par l’endroit : Pas de tables individuelles, des grandes tablées que l’on doit partager avec d’autres convives. Le bois est roi et les décorations très typiques. De la musique basque, qui ne m’est pas inconnue dans ses rythmes proches de ceux du Portugal, je le fais remarquer mon compagnon, finit de m’enchanter.
Les regards des personnes présentes sont bienveillants et on fait attention à nous. Tout en me débarrassant de mon sac à dos et de mon vêtement de pluie rouge très voyant, je comprends que l’on nous prend pour des pèlerins. Je réalise à ce moment que je suis dans la réalité de mon rêve. Je foule le même sol que des milliers de pèlerins de Compostelle qui se sont arrêtés à Saint-Jean-Pied-de-Port, situé, je le rappelle, près du village d’Ostaba, où se croisent tous les chemins de Compostelle, et qui est, par là-même, une étape obligée avant de passer le col de Ronceveaux.
L’heure de déjeuner approche, et nous réservons deux places pour treize heures.
Nous avons hâte de visiter, nous empruntons la rue de la Citadelle. Comme nous nous y attendions, le pèlerinage est partout. Des gîtes, des maisons d’accueil , des hôtels pas très chers, tout est là pour aider le pèlerin. La coquille saint-jacques, emblème du Chemin de Compostelle, est partout. Et le flot des sacs à dos et des bâtons est incessant.
Je suis vraiment émue, je le redirai souvent.
Nous arrivons à la Citadelle. Bien protégée par ses remparts de système défensif de type Vauban, elle est très bien restaurée. Elle est en pleine nature, et les arbres, encore sans feuilles en avril, nous offre de la ville et de ses environs, un panorama exceptionnel.
L’architecture est bien respectée, aucun signe extérieur n’indique que ce château abrite un collège dans ses murs épais quasi inviolables. Peut-être un cours de tennis, bien caché et en contrebas, laisse voir que l’endroit vit encore.
Nous sillonnons un peu les rues de la ville, nous voulons acheter quelques souvenirs, pour nos proches mais aussi pour nous. J’aurai droit à ma « boule à neige » comme partout où nous allons.
La « boutique du pèlerin et du randonneur , Direction Compostelle « , comme c’est écrit sur le store, reçoit notre visite, cela va de soi. Je prends rdv avec le jeune propriétaire des lieux, pour dans 4 ans, à peu près : Si le Chemin que nous allons entreprendre cette année en septembre 2012 se passe bien, et en faisant chaque année un tronçon, nous devrions revoir le boutiquier en 2016. L’espoir fait vivre, la carotte fait avancer l’âne. J’y crois dur comme fer. J’ai tant voulu ces moments.
Nous allons déjeuner. Nous nous retrouvons à la même table que huit autres personnes, comme une grande famille. Je m’offre une piperade basque. Je voulais vraiment en goûter une « vraie » et je ne suis pas déçue. Le menu est copieux.
Et si nous commencions là notre Chemin de Compostelle, là, maintenant, tout de suite, en ce jour du 3 avril 2012.
Nous nous dirigeons vers la « Porte d’Espagne », ou ce qu’il en reste et nous prenons la direction de Ronceveaux pendant 1,5 kilomètre par la route Napoléon. Toujours sous la pluie. La montée est rude, surtout après un tel repas. Leçon N°1, éviter de s’alourdir l’estomac avant de marcher. Nous en faisons les frais. Lorsque enfin nous arrivons en haut de la côte, là où il y a une bifurcation, Marc suggère que nous retournions sur nos pas. Je suis déjà triste d’arrêter là. Qu’il aurait été bon de continuer, d’aller au bout d’un moment de folie qui nous aurait mené jusqu’à Compostelle. Mais le chemin, de toute façon, n’aurait pas été complet, il ne faut pas brûler les étapes.
Et il faut s’entraîner à marcher longtemps et durement, il faut être en bonne condition physique.
C’est ce que nous faisons le dimanche. Nous randonnons.
Les pages annexes décrivent toutes nos randonnées pour nous préparer à « faire le Chemin ». Et puis, il y aura Le Chemin, en Septembre 2012. D’ici là …
Depuis, nous avons réalisé une partie du Chemin, du Puy en Velay à Conques, du 3 au 12 septembre. Voir blog 2 , « Madeleine, Marc et Pierre du Puy en Velay à Conques » http://piermadmarc.wordpress.com. Le lien direct est dans le Blogroll, barre latérale.